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PROJECTIONS


Projection banale

     Dans la projection au sens le plus large, le sujet attribue aux autres ses propres façons de ressentir : si je suis très impressionné par la guillotine, j'aurai tendance à penser que les autres le sont et j'en conclurai que la peine de mort est dissuasive...
    Si je n'aime pas l'autre, j'aurai peut-être de la difficulté à croire à son amour. Si je lui en veux, je vais penser qu'il m'en veut.
    Si je suis honnête, j'aurai parfois beaucoup de difficulté à imaginer que certains ne le sont pas. Ce qu'on appelle souvent naïveté n'est, en bien des cas, que de la bonté chez des personnes qui ont de la difficulté à envisager que d'autres puissent être à ce point différents d'eux.

Projection défensive

    Dans la projection au sens psychanalytique, le sujet attribue à l'autre ce qu'il ne veut pas voir en lui (avidité, obsession sexuelle, violence meurtrière ...)… Ce mécanisme de projection, on le retrouve par exemple à l'oeuvre lorsqu'une population est exposée simultanément à l'érotisation (cinéma, télévision, affiches, modes vestimentaires ...) et à la culpabilisation de la sexualité par une éducation puritaine. Les pulsions sexuelles culpabilisées sont attribuées à un groupe humain "bouc émissaire" (les Noirs aux Etats-Unis, les Juifs en Europe centrale ont eu cette désagréable attribution).

Quand je parle de l'autre, je parle de moi

   Dans l'image que j'ai de l'autre, il y a ce qui le concerne mais il y a aussi ce qui me concerne, autrement dit ce qui relève de ma projection. Il est souvent difficile de repérer où se place la frontière. On peut y voir plus clair en faisant appel à l'une des épreuves projectives qui utilisent la propension spontanée de chacun à parler de soi dans la description d'un matériel incomplètement structuré comme des taches d'encre, des phrases incomplètes (Ce qui agaçait le plus Paul, c'était...), des dessins illustrant une histoire que le sujet doit imaginer, etc.

Mais le besoin de lucidité peut aussi se nourrir sans passer par un clinicien : par exemple en notant de manière systématique comment je vois les personnes de mon entourage personnel et professionnel et en repérant ce que ces images ont en commun. Une situation de formation - dans laquelle on se retrouve pendant quelques jours, avec une dizaine de personnes inconnues - est particulièrement favorable à ce type d'investigation : on est sorti de ses préoccupations habituelles, on a du temps pour réfléchir (on est même là pour ça) et les autres fournissent en un certain sens, un matériel incomplètement structuré, puisque nous ne savons rien d'eux au départ.


Théologie et projections

L'image que je me fais de la divinité, intègre des éléments culturels (qui appartiennent à la culture de mon milieu et de mon temps) et des éléments très personnels qui renvoient à la relation archaïque avec les premières images d'autorité. Il me semble utile de distinguer ce qui concerne l'image (qui relève de la projection) et ce qui concerne des attentes vis-à-vis de cette image (qui est plutôt de l'ordre du transfert).

Les textes sacrés comme documents projectifs

Chaque époque, chaque croyant sélectionne dans ces textes ce qui va conforter une attitude préexistant à la croyance et fortement imprégnée par son vécu de petit enfant :

- Si j'ai – dès le berceau – subi les hurlements et les coups de cravache de mon géniteur, je vais imaginer la divinité comme on la voyait dans les temps bibliques, avec ses colères, ses vengeances démesurées… Je m'attendrai à ce que ce Père céleste soit à l'image de mon père réel puisque celui-ci fut créé à l'image de celui-là.
" Car moi, l'Eternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux qui punit l'iniquité des pères sur les enfants jusqu'à la troisième et quatrième génération de ceux qui me haïssent…" (La BIBLE, Exode, .XX)

    Et je ne serai pas scandalisé par l'histoire du péché originel. Mais peut-être faut-il la rappeler :
   Créés par l'Eternel avec les qualités et les défauts que le Créateur – dans sa parfaite sagesse - choisit de leur donner, le premier homme et la première femme, tentés par le démon (une autre créature façonnée par l'Eternel ) commettent le crime épouvantable de manger un fruit défendu. De nos jours, un parent pointilleux ferait une remontrance. Peut-être irait-il jusqu'à envoyer l'enfant au lit avec privation de télé… Mais l'Eternel (qui est, selon ses courtisans, infiniment bon et miséricordieux) s'est vexé et a décidé de faire un exemple. Il ne s'est pas contenté de frapper les enfants jusqu'à la troisième et quatrième génération, puisque 10 000 ans plus tard (ou un million d'années plus tard si j'en crois la Science contemporaine), les humains continuent à expier ce péché originel...

- Si je me suis donné la peine de naître dans une famille douce et tendre, et si j'ai tout de même besoin d'une croyance religieuse, je serai plutôt enclin à imaginer un Dieu d'amour, et j'aurai alors de la répugnance à accepter l'existence de l'Enfer, car comment croire qu'un Dieu bon peut organiser pour les humains un AUSCHWITZ éternel.

Selon les époques, les peintres et les sculpteurs se sont attachés à nous montrer le Christ supplicié ou le Christ triomphant. Quand Ernest Renan affirme que "le blasphème des grands esprits est plus agréable à Dieu que la prière intéressée de l'homme vulgaire" on sent bien le grand esprit héritier des Lumières, créant un dieu à son image… Ce personnage raffiné est vraiment aux antipodes de l'Eternel dont nous parlent les auteurs de l'Exode qui le décrivent comme un terrifiant balourd oscillant du génocide au remord.
"Alors l'Eternel se repentit du mal qu'il avait dit qu'il ferait à son peuple." (La BIBLE, Exode, .XXXII, 14)
Dieu le Père prescrit :"Oeil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied…(…) Si un boeuf heurte de sa corne un homme ou une femme et que la personne en meurt, le boeuf sera lapidé sans rémission" (Exode,.XXI)
En ce qui concerne Dieu le Père Lui-même, l'ancien jésuite Jack MILES montre comment une lecture attentive de la BIBLE permet de repérer derrière la diversité des rédacteurs et des appellations (YAHVE, JEHOVA, L'ETERNEL, LE SEIGNEUR, etc.), des personnages diablement différents.

Igor Reitzman  

 

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Voir aussi Identification et transfert