Transferts et vie quotidienne
Définitions
Pour
LAPLANCHE et PONTALIS (Vocabulaire de la psychanalyse -
PUF)), le transfert, "c'est le processus par
lequel les désirs
inconscients s'actualisent sur certains objets dans le
cadre d'un certain type de relation établi avec eux
et éminemment
dans le cadre de la relation analytique." Ce que FREUD
découvre dans sa pratique d'analyste, se manifeste
aussi en dehors du cadre analytique et d'autre part l'actualisation
ne concerne pas seulement des désirs inconscients.
C'est
pourquoi je préfère vous proposer une
définition
plus large qui a l'avantage d'éclairer toutes sortes
de phénomènes de la vie courante, hors du cadre
analytique :
Dans
le transfert , la personne retrouve par rapport à des
personnes actuelles, les conduites, les attentes, les émotions,
les sentiments qui s'adressaient à un proche de sa petite
enfance (parents, frère, nourrice...).
Brève
clarification
Le
proche n'est pas nécessairement une personne réelle : ce peut être
un personnage important du conte de fées écouté puis
lu et relu sans cesse, ou bien du feuilleton que l'enfant a regardé tous
les soirs pendant deux ans… Faut-il insister sur le fait
que les transferts sont de tous les instants et qu'ils relèvent
de l'inconscient...
Le
transfert peut être universel et colorer la totalité des
relations avec le genre humain tout entier et même au-delà.
C'est par exemple ce que vivent ceux qui disent qu'il ne faut
faire confiance à personne
et/ou qu'il ne faut jamais rien demander à personne.
A l'inverse, le transfert peut être très sélectif,
fortement ciblé, avec évidemment toutes les variétés
intermédiaires.
Certains statuts favorisent le transfert de l'autre : psychanalyste
bien sûr, mais aussi médecin, instituteur et sur
un plan bien différent, conjoint, fils et fille.
Chaque fois que RONALD voit s'approcher un professeur dont le caractère
paisible lui est pourtant connu, il montre, par un brusque geste de défense
du bras, qu'il s'attend à recevoir des coups...
OSWALD, qui fut terrorisé par son père de jour et de nuit, dans
sa petite enfance, ressent de l'angoisse à l'approche de tout être
humain mais il a réussi à mettre en place une cuirasse et des
mécanismes de défense qui lui permettent d'assurer de hautes
fonctions sans éveiller la curiosité de ses collègues.
Il n'y a guère que ses proches…
HUBERT éprouve à l'égard de sa femme une très forte
rancune qui le met plutôt mal à l'aise car il ne parvient pas à retrouver
le grief important qui la légitimerait à ses propres yeux. C'est
qu'elle est plutôt gentille : elle fait plein de choses pour lui faciliter
la vie : elle lui prépare ses comprimés, elle lui remplit son
assiette, elle lui sort du linge propre… peut-être même en
fait-elle trop ? Il se souvient alors qu'il lui a dit à deux reprises
dans la même journée : "Tu es bien comme ma mère !" En
même temps que la rancune, il sent toute la profondeur de son attachement
pour elle. Un attachement qui a pris la place du désir. Elle est devenue
sa mère. Il lui reste donc à se trouver une femme. Toute l'agressivité qu'il
a accumulée en vingt ans contre sa vraie mère aussi étouffante
que dévouée, une agressivité qu'il ne s'autorisait pas à ressentir
pleinement, la voilà qui s'infiltre dans la relation de couple. L'évolution
plus ou moins symétrique de CLARA va leur permettre de s'installer dans
un banal et durable guerre-et-paix…
Dire qu'on fait un transfert de sa mère sur quelqu'un
peut, à la réflexion, s'avérer bien vague. De quelle mère, fait-on
le transfert ? Est-ce celle du nouveau-né, idéalisée, chargée
de toutes les attentes confiantes de douceur, de chaleur,
la bonne mère. Ou bien celle de ses deux
ans, mère réelle éventuellement brutale et frustrante, la mauvaise
mère. Si
l'on admet que jadis, les conduites, les attentes, les émotions, les
sentiments vis-à-vis d'un proche ont pu être très différents
selon le moment, on peut comprendre que CLAUDIA - à partir de son histoire
avec sa propre mère - attende de MONIQUE la sollicitude et l'écoute
tandis qu'elle n'approche MARTHE qu'avec beaucoup de frayeur et de réticence.
Certains parents vivent une relation intense et positive avec le bébé puis
s'en désintéressent dès qu'il commence à vivre de
façon autonome ; d'autres parents connaîtront une évolution
inverse. Même lorsque la mère fut très frustrante dès
la naissance, l'enfant a commencé par vivre son besoin d'être aimé,
son attente de douceur qui pourront ultérieurement se revivre par rapport à une
personne réelle ou imaginaire. Selon la thèse de Mélanie
KLEIN et Joan RIVIERE , la mère, premier objet d'amour, est soumise à un
clivage en "bon objet" et "mauvais objet" ; le nouveau-né vit
intensément et sans distance ses besoins et ses émotions : Il ressent
beaucoup d'amour et de gratitude pour la bonne mère (le "bon objet")
dont il attend la satisfaction de ses besoins ; il ressent une violence destructrice à l'égard
de la mauvaise mère (le "mauvais objet") qui l'a brutalisé,
abandonné ou qui lui a refusé le sein (ou le biberon), alors qu'il était
tenaillé par la faim ... Si on dit que je suis pour MARCO le mauvais objet,
c'est une autre façon d'évoquer le transfert sur moi de la mauvaise
mère, celle qui refusait d'apaiser ma faim ou de me prendre dans ses bras…
Le
caractère passionnel du racisme peut se comprendre partiellement
comme violence de transfert : c'est toute une ethnie - les arabes,
les juifs, les noirs
- qui est vécue comme mauvais objet… Cette opposition "bon
objet" - "mauvais objet" pourrait être rapprochée
d'une opposition bon dieu - démon, très ancienne dans
l'imaginaire populaire. Dans cette perspective, le croyant déplacerait
sur le bon
Dieu et sur la Vierge MARIE (Mater Dei, la mère
de Dieu), les attentes, les émotions,
les sentiments qui primitivement allaient vers les parents idéalisés… Dans
cette perspective, il serait intéressant de vérifier
si la croyance au démon reste forte lorsque les parents ont
renoncé dès la naissance
à frapper, secouer, hurler, humilier et culpabiliser...
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