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La prise de parole
dans un café-philo

                                                                                                         par Igor Reitzman

La tentation de confisquer

   Quand je prends la parole, est-ce que je donne aux autres quelque chose ou bien est-ce que je leur prends quelque chose ? Comment résister à la tentation de parler longuement, de demander à tout moment la parole. Si j'ai fait cours pendant quelques dizaines d'années, comment ne pas être tenté par un exposé complet, exhaustif de mon point de vue. Quand je prends la parole, est-ce que je donne un élément qui ouvre, qui consolide, qui remet en cause une évidence, qui traduit ce que d'autres sentaient sans pouvoir le formuler clairement ? Ou bien est-ce que je confisque leur espace sonore ? A partir de combien de minutes, dérape-t-on dans le monologue et devient-on un pique-oreilles ? Il faudrait un sablier de protection, dans l'intérêt de l'orateur aussi bien que des auditeurs.

     Plus je parle longuement, plus se réduit le nombre de ceux qui m'écoutent encore et moins je laisse de temps aux autres pour me répondre et apporter d'autres éléments. Il y a des personnes qui – à un moment donné – ont le besoin fort de s'exprimer, qui ont du plaisir à le faire (quand on aime, on ne compte pas !). Et d'autres dont le besoin de communiquer est encore plus fort que le besoin de s'exprimer et qui vont choisir d'émietter leur position, de ne livrer dans chaque intervention qu'une ou deux parcelles, en attendant un moment favorable pour déposer une nouvelle parcelle.

Parvenir à s'exprimer dans un groupe en brillante expansion

   Parmi ceux qui ne sont pas des professionnels de la parole, beaucoup ont de la difficulté à s'exprimer en public. Et cette difficulté, depuis la dernière rentrée, augmente avec la taille du groupe, gonflée chaque début de mois par des arrivages massifs de nouveaux venus. Dans quelques mois, nous serons 50, 60 et peut-être davantage. Quantitativement, c'est un succès. Au plan de la convivialité, je ne suis pas certain que nous ayons à nous en réjouir.

   Il suffit de chauffer un peu plus ou de refroidir un peu plus pour que l'eau devienne vapeur ou glace. "A un certain degré de développement, de simples variations quantitatives amènent un changement qualitatif." Cette loi de la dialectique énoncée il y a deux siècles par Hegel trouve ici une intéressante illustration :   Nous étions un petit groupe dans lequel les visages étaient devenus familiers comme dans les villages et les quartiers d'autrefois. De temps en temps deux ou trois personnes nouvelles venaient s'asseoir avec nous et c'était une richesse supplémentaire. Nous sommes en train de devenir une assemblée anonyme, un spectacle avec une masse d'auditeurs occasionnels. Le groupe stable d'hier fait place peu à peu à une série de réunions publiques mêlant des habitués et des occasionnels. Demain peut-être les guides conduiront des cars entiers de francophones du musée Vivenel au Bouchon…

Au-delà de 14, chaque personne supplémentaire apporte des idées, mais la probabilité s'amenuise que ces idées soient originales, tandis que se développent des sentiments d'insécurité et des inhibitions qui vont écarter de la prise de parole un nombre croissant de participants. Entre l'envie de s'exprimer et la possibilité de le faire, le décalage s'accroît, et avec lui la frustration. Il n'est pas impossible qu'à partir de leur frustration, des personnes abandonnent ou manifestent une certaine agressivité.

Dans une séance récente, j'ai entendu, pour la première fois, quelqu'un dire que tel discours le mettait en colère et Nicolas a d'ailleurs marqué l'événement en tapant du poing sur le comptoir…

Ce n'est pas seulement la taille du groupe qui rend plus difficile une intervention. Le turn-over discret qui nous enrichissait en douceur les années précédentes, est maintenant massif et chaque début de mois, les visages inconnus sont nombreux que bien souvent on ne reverra pas.

Un sujet pour notre 1ère A.G. ?
J'aimerais que notre première assemblée générale réfléchisse sur ce problème. Personnellement, je verrais assez bien deux groupes fonctionnant différemment : l'un serait ouvert largement au public et constituerait un sas permettant éventuellement de passer dans l'autre. Et vous qu'en pensez-vous ?

Igor Reitzman (le 1 02 05)

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