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Le vécu pendant et après les séances


La communication vécue comme thème de la réflexion

   J'aimerais qu'il y ait, à la fin de chaque séance du café-philo, quelques minutes réservées à ce qu'on appelle dans le jargon des psychosociologues, la méta-communication, un moment où l'on reprend une distance par rapport au thème traversé, et où ce qui est placé sous la loupe n'est plus l'argument d'autorité ou l'avenir des religions mais la façon dont on a communiqué pendant 80 minutes. Il ne s'agit pas d'analyser et de juger mais plutôt de s'interroger – si on en a envie – sur ses ressentis (difficiles ou agréables), et de les partager - si on en a envie… Il est très probable que peu de participants - surtout dans un premier temps – oseront s'exprimer à ce niveau qui relève d'une plus grande implication. On s'expose davantage en disant "J'ai senti de l'agacement quand…" ou "Ce que X a dit sur … m'a mis mal à l'aise ou m'a réconforté " que lorsqu'on évoque les mérites de Gandhi ou le génie de Matisse.
    J'étais content que Nicolas, notre hôte, ait mis en place au Bouchon, un cahier dans lequel, les participantes et les participants qui le souhaitent, peuvent écrire des choses que les autres pourront lire s'ils en ont envie : réflexions, interrogations et ressentis… Ce que je n'ai pas pu dire, ce qui est venu après coup grâce à l'esprit de l'escalier (Esprit es-tu là ? oui, mais jamais avant 18h ), le titre d'un livre ou d'un film, etc. En fait, il a très peu servi car il fallait revenir au café entre deux séances pour lire ou écrire sur le cahier…

   L'intérêt de pouvoir s'exprimer sur ce qu'on a vécu, semblera évident à certains participants. D'autres souhaiteront peut-être un éclairage… philosophique. J'ignore si le développement qui suit relève de la philosophie, mais comme personne ne sera obligé de le lire, je prendrai la liberté d'évoquer ici les raisons théoriques et pratiques qui m'ont conduit à proposer ces deux dispositifs complémentaires qui tous deux renvoient au concept de structure inachevée.


En vrac quelques exemples de structures inachevées


    CLAUDIA s'intéresse réellement à l'histoire, mais de midi à treize heures, la course immobile des aiguilles de l'horloge mobilise fortement son attention et ces temps passés perdent alors beaucoup de leur attrait. Ventre affamé n'a pas d'oreilles... ANTOINE qui s'est vu refuser l'autorisation de sortir et qui sent de plus en plus impérieusement les exigences de sa vessie, concentre toute son attention sur la stratégie à déployer pour être le premier hors de la classe quand la cloche enfin le libèrera… Plus rien d'autre n'a d'intérêt pour lui dans une telle épreuve.
    Le conférencier vient de prononcer le mot eschatologie et je n'en retrouve plus le sens. Me voilà mobilisant ma mémoire et ma bonne volonté étymologique sur le début du mot (Est-ce catho ?). Mais du coup, je n'écoute plus, je ne suis plus disponible…
    Cette femme qui me sourit gracieusement, je la connais bien sûr et je lui souris avec plaisir. Mais au fait, qui est-elle ? Où diable l'ai-je rencontrée. Au lieu de lire l'austère revue que j'avais emportée, je n'en finis pas de chercher le cadre qui lui sert d'écrin habituellement…
    Ma voisine ne m'a pas salué ce matin, au marché ... Est-ce qu'elle est fâchée ? Est-ce qu'elle ne m'a pas vu ?
Hier à la cantine, j'ai dit que je broie du noir en ce moment. Mon copain antillais est resté silencieux. J'ai bien peur qu'il ne m'en veuille…
    Je voudrais bien lui dire ma sympathie ; je suis sûre que ça lui ferait du bien mais je ne sais pas comment lui dire… Chaque fois qu'on travaille ensemble, je compose des phrases dans ma tête, mais aucune ne me semble vraiment à la hauteur de ce qu'il vit …"
   " Je l'aime mais je ne sais comment le lui dire ...
    J'ai été blessé par votre réflexion mais j'ai fait comme si elle ne m'avait pas touché. Depuis elle reste en moi, plantée comme une écharde ... Je ne cesse d'y songer...
    Bouderie : Elle est là, fermée, le regard absent, le silence épais. "Je t'en veux mais je n'arrive pas à te le dire. Te le dire, ce serait déjà te donner quelque chose. Je n'arrive pas à te dire mes griefs et du coup, je ne peux plus rien te dire d'autre, plus rien te demander, pas même le sel, plus rien accepter de toi, pas même ce chocolat que j'adore..."

Certaines interrogations renvoient à des enjeux émotionnels importants :
Qui est mon père ? Pourquoi m'a mère m'a-t-elle abandonné ? Pourquoi m’a-t-on puni ce jour-là ? Pourquoi ne puis-je entendre cette voix sans plonger dans l'angoisse ? Pourquoi suis-je si triste le jour de mon anniversaire ?
Je me demande si ma mère m'a jamais aimé. Mon intuition d'enfant, c'était qu'elle ne m'aimait pas mais mon besoin d'être aimé par elle, était si fort que je n'ai jamais pu me résoudre à conclure. Aujourd'hui encore ...

Les interrogations peuvent fonctionner en boucle, dans un ressassement épuisant ou au contraire servir de terreau à une élaboration qui permet de remanier toutes les vieilles images de l'enfance.


Définition
    Il y a structure inachevée, chaque fois qu’une partie de mon énergie reste mobilisée - momentanément ou durablement - dans une incomplétude, une insatisfaction, une attente. Plus la structure inachevée mobilise d'énergie à un moment donné, moins je suis disponible pour une autre activité (écoute, réflexion, activité non machinale…).
    Les structures inachevées peuvent être physiologiques, cognitives, relationnelles, émotionnelles, etc.
Certaines mobilisent, d'autres entravent - pour quelques minutes ou pour des années, voire la vie entière…

Les structures inachevées possibles d'un café-philo

   Je n'ai pas trop aimé ce qui se disait à propos de X. J'avais envie d'intervenir, mais d'autres ont pris la parole sur des sujets différents. Reparler de X après eux, ça n'avait plus de sens. Mais ce X me reste sur l'estomac…
Chaque fois, je me dis que cette fois-ci, je prendrai la parole. Une fois de plus, je n'ai pas pu. Pourtant j'avais des choses à dire… Par exemple, j'entends parfois quelqu'un dire : "Ce n'est pas un sujet philosophique". Mais quels sont les critères qui permettent de l'affirmer ? Y a-t-il des sujets qui ne soient pas philosophiques ? N'est-ce pas la façon d'en parler qui est ou n'est pas philosophique ?
Je me demande si je n'ai pas parlé avec trop de véhémence sur ce sujet qui me tient tant à cœur… Je me demande si je n'ai pas blessé Mme M.
Je n'aime pas trop la façon dont certains parlent de la religion. Je veux qu'ils continuent à en parler comme ils le font, mais je veux aussi pouvoir dire que cela me met mal à l'aise…
Etc.

Que diriez-vous d'une affichette invisible qui dirait :

On est prié de refermer ses structures avant de quitter la salle.

Igor Reitzman  

 

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