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Déclenchement
d'une agression

par Igor Reitzman

Moteur emballe ou
freins hors service?

Bien des gens prennent l'événement déclencheur d'une agression pour LA CAUSE de cette agression . Nous avons vu comment toute une énergie négative s'accumule au long des années à partir des maltrai-tances alourdies de frustrations ouvertes et de micro-frustrations qui seront "lues", interprétées en fonction de tout ce que la personne a vécu antérieurement.
Il arrive que des personnes se suicident après un contrôle fiscal. Dans le grand public plutôt hostile à cette administration, on a vite fait de conclure que le contrôle fiscal est LA cause du suicide, alors qu'elle n'est (et ce n'est pas rien) qu'un facteur occasionnel, la grosse goutte d'acide qui a fait déborder la coupe. Sa mise en relief a pour effet de camoufler l'essentiel dans ce qui a conduit jusqu'à cette décision de mort.
D'une certaine façon, on pourrait dire que la réalité immédiate dans sa globalité fournit la stimulation et/ou la levée de l'inhibition qui permettent l'entrée dans une conduite violente.

La totalité des frustrations passées et actuelles apportent l'énergie.

Les maltraitances notamment celles de la première enfance fournissent
- la signification
( "Une fois de plus, on ne m'a pas écouté I On s'est encore foutu de moi !")
-- le mode de réaction
(contre qui ? comment ? etc.)


C'est la totalité de l'expérience vécue
qui donne sens à l'incident présent.


Cette loi générale est surtout évidente avec les personnes qui ont subi très tôt une persécution et qui - dans le présent - interprètent des gestes anodins comme hostiles, mais on aurait tort de croire que seules les personnes étiquetées comme paranoïaques relèvent de ce principe.
On s'est aperçu que les adolescents qui n'avaient jamais reçu que des signes de reconnaissance négative ont de la difficulté à recevoir une parole positive (à la percevoir, à y croire, à en être touché). L'arrivée d'éducateurs chaleureux peut se traduire par une détérioration des conduites s'ils négligent de commencer par l'emploi de signes de reconnaissance négatifs conditionnels ("Si tu continues ...il y aura telle sanction ...")


La situation la plus courante :


- une destructivité plus ou moins "dormante", inhibée à partir d'impératifs sociaux et moraux, éventuellement de craintes diverses (les freins)


- un environnement actuel générateur de tension, d'insécurité et de frustrations...


- un déclencheur
l'allumette qu'on approche du bidon d'essence, la goutte qui fait déborder le vase, la flamme qui jaillit par le rapprochement de quelques braises et l'insistance d'un soufflet… Toutes ces images sont éclairantes à condition de se souvenir que c'est la situation globale qui déclenche et non un mot ou un geste. C'est par exemple une insulte (formulée devant témoins, devant cette personne-là, avec ce rire-là) qui réactive le souvenir d'humiliations innombrables avalées jadis dans le silence et la peur ...
et/ou
- un frein qui lâche
l'élément (alcool, foule surexcitée, surmenage) qui lève provisoirement ou définitivement l'inhibition provenant de la conscience morale ou de la crainte d'une sanction ...


Bien entendu, même si mon inventaire n'est pas exhaustif, il suffit pour expliquer la grande diversité des cas de figure, compte tenu de l'interaction des variables en jeu :

  1. destructivité minimale, moyenne, intense jusqu'à la férocité
  2. -impulsivité totale, inhibition fragile ou contrôle très fort
  3. -seuil de tolérance plus ou moins élevé
  4. -faiblesse ou puissance du déclencheur ou de l'élément désinhibant -environnement plus ou moins stressant.

La décharge destructrice peut être vécue après coup comme disproportionnée par rapport à l'incident déclenchant et engendrer alors un sentiment de malaise.
"Qu'est-ce qui m'arrive ? Faire un tel drame pour si peu !"
Tout devient plus clair si l'on considère cette explosion comme une réactivation où se trouvent extériorisés quelques fragments de cette colère ou de cette rage gelée depuis tant d'années.


Cette perspective est à rapprocher de la courbe
de la violence en fonction de l'âge.

Selon les chiffres du Ministère de la Justice, les infractions volon-taires contre les personnes sont à leur maximum chez les hommes de 18 à 24 ans puis diminuent fortement avec l'âge. Sans nier la valeur des autres facteurs explicatifs, on peut supposer qu'après 30 ans pour la plupart des gens, le trop plein des rages de l'enfance a été suffisam-ment déchargé par les divers canaux déjà évoqués. A l'intérieur des familles, on constate une atténuation de la sévérité moyenne vis-à-vis des cadets puis des petits-enfants. Puisqu'on s'est vengé, on peut tourner la page...