C'est le Bon Dieu qui t'a puni !
Interprétation inoffensive
et interprétation
toxique
En fait nous passons tous notre vie à interpréter
: Le sourire de celle-ci, l'air soucieux de celui-là… Devant
un ciel qui soudain s'assombrit, avec des grondements d'orage,
si je me contente de sortir mon parapluie ou de presser l'allure,
il s'agit d'une interprétation commune, banale en ce
siècle
prosaïque. Si par contre j'en déduis que le Ciel
est en fureur, que la foudre vengeresse va s'abattre sur nous
et qu'il faut trouver au plus vite le coupable à sacrifier
pour apaiser le céleste courroux, cette interprétation,
dangereuse au temps de Sophocle ou dans l'Europe médiévale,
surprendrait le climatologue et le grand public d'aujourd'hui… Mais
dans certaines régions, on conserve encore la croyance
naïve en une divinité qui épierait les pensées,
les paroles et les gestes de 6 milliards d'êtres humains,
et interviendrait durement dans la vie des enfants désobéissants.
Quand un petit se blesse, il est encore
fréquent
que sa mère lui dise : "C'est le Bon Dieu qui
t'a puni"… Une interprétation qui installe
très tôt toute une idéologie, et de façon
très puissante car les mots sont associés à des
moments émotionnellement forts. Une idéologie
qui s'enrichira grâce à des apports divers et qui
pourrait se résumer ainsi :
Dieu existe
dans ton environnement immédiat puisqu'il te surveille à tout
moment. Il est bon puisqu'il t'ouvre le genou, alors que moi,
ta mère, je me serais contentée d'une petite
fessée.
Qui aime bien, châtie bien. Qui aime mieux, châtie
mieux. Et Dieu l'a prouvé en maintes circonstances :
le Déluge, Sodome et Gomorrhe et tous les humains punis
depuis des millénaires pour un instant de désobéissance
du couple originel. Prends l'habitude de voir dans toute souffrance
qui te frappe, la main de Dieu. Et si, comme je m'y emploie,
j'ai réussi à faire de toi un homme culpabilisable
donc manipulable, à tout moment tu t'attendras à l'accident
qui te confirmera que Dieu veille sur toi et te guide vers
la parfaite vertu.
S'attendre à l'accident, y voir l'intervention
de la divine Providence, cela ne signifie pas qu'on va le provoquer, à moins
qu'on ne soit convaincu qu'on est sur terre pour accomplir la
volonté du Père Céleste, à moins
qu'on n'ait besoin de se punir pour sortir de l'angoisse associée à un
impitoyable sentiment de culpabilité.
De la possession à l'exorcisme
Quand on dit d'un enfant qu'il a le diable
dans le corps (une façon moderne de dire qu'il est possédé),
la conclusion pratique s'impose : Il faut chasser ce diable,
et l'hésitation porte plutôt sur les
moyens : fessée, fouet, baguette ou exorcisme ? La baguette
et le fouet, conseillés par la Bible , sont chez nous
passés de mode.. La fessée déculottée
procure des satisfactions à l'éducateur pervers,
mais elle a mauvaise réputation depuis les Confessions
d'un certain Jean-Jacques Rousseau… Il reste l'exorcisme
d'ailleurs plus cohérent, puisque dans cette pieuse opération
clairement inspirée
par le Saint Esprit, l'homme de Dieu s'adresse au démon possédant plutôt qu'à l'enfant possédé.
Qui oserait douter de l'efficacité de l'énergique
apostrophe Vade retro Satanas ?
Evidemment vous objecterez
qu'il faudrait – au préalable – vérifier
que l'angélique créature, angélique mais
déchue, passa un temps suffisant dans une section classique
de quelque collège. Faute de quoi, quelle que soit la
bonne volonté de ce petit démon, il ne comprendrait
rien à l'exorcisme. Mais pourquoi diable utiliser le
latin, me direz-vous. Dans une société où le
latin d'église surnage encore malgré Vatican
II, n'est-il pas maladroit de laisser croire au grand troupeau
des fidèles,
que le latin pourrait être la langue du diable ? L'hébreu
ou mieux encore l'araméen ancien, surtout agrémenté d'un
léger accent picard, serait moins compromettant, de
surcroît
bien plus impressionnant et pour tout dire irrésistible.
J'invite tous les exorcistes qui me liront à tenter
l'expérience
en double aveugle et à me faire parvenir leur témoignage,
de préférence en langue vernaculaire.
Igor Reitzman (extrait de "Interprétations")
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