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Jeu de la mort :

La confusion entre
obéissance et soumission


J’ai été très intéressé par ce Jeu de la mort et j’espère pouvoir bientôt prendre connaissance de la recherche de Jean-Léon Beauvois, recherche dont cette émission constitue la vitrine. Il y aura sans doute aussi plusieurs livres à écrire sur les effets à court et long terme de l’émission elle-même (J’espère que ses producteurs ont prévu un budget important pour la thérapie des questionneurs les plus bousculés).
 Je suis convaincu de l’utilité de cette émission qui devrait faire réfléchir et discuter des millions de gens, y compris ceux qui ne l’auront pas vue.
Très concerné comme enfant honoraire, comme parent, éducateur, thérapeute, psychosociologue, enseignant et tout simplement citoyen travaillant depuis 40 ans sur ce problème, je souhaite apporter ma contribution à cette réflexion :

1- Toute généralisation
sur une prétendue nature humaine
est abusive

Dans les expériences décisives de Milgram sur la soumission à l'autorité, les candidats venaient dans la salle austère d'une Université pour faire progresser la Science. Ici, il n'est question que d'un jeu télévisé à roder, dans lequel le besoin frustré de reconnaissance pourrait trouver satisfaction (passer à la Télé !). Ici, à la pression de l'autorité, s'ajoutent la pression d'un public surchauffé, un dispositif technique impressionnant et les attentes de rôle de candidats habitués de la télé-réalité. Ces questionneurs invités à torturer leur semblable ne constituent en rien un échantillon représentatif de toute l''humanité ou simplement de la population françaiseEt même dans cet échantillon, il y a tout de même 19% des candidats qui ont refusé de continuer jusqu'aux décharges mortelles. Toute généralisation sur une prétendue nature humaine est donc ici abusive et les formulations du style "Tout être humain dans une telle situation…" n’ont de sens que comme langue de bois justificatrice et consolatrice.
Ce qui est inquiétant, c'est qu'aucune de ces personnes n'ait refusé en apprenant qu'il s'agissait de punir des erreurs par des décharges électriques. Que l'annonce ait fait rire les futurs tortionnaires, est-ce une indication sur l'éducation subie (taloches, mauvaises notes, devoirs supplémentaires ?) ? Ou bien la totalité de la situation dès cet instant, était-elle à ce point insécurisante et de nature à inhiber leur conscience critique ?

2- Pourquoi parler d'obéissance
quand il ne s'agit que de soumission

L'obéissance est la conduite d'un être autonome qui se conforme aux exigences raisonnables de l'autorité légitime (Respecter un stop, un règlement intérieur…)

La soumission est la disposition à exécuter les ordres quels qu'ils soient. En d'autres termes, c'est la disposition à exécuter les ordres même s'ils sont stupides ou monstrueux. Dans l'expérience, la soumission commence dès l'acceptation de prendre un rôle dans un tel dispositif.

Il y a soumission relative lorsque la docilité totale apparente engendre des conflits intérieurs et se double éventuellement d’une action clandestine voire d’une protestation ouverte qui attestent que la conscience n’est pas totalement anesthésiée et tente, comme elle peut, de réduire des dissonances. On voit à l'oeuvre cette soumission relative dans le spectacle offert hier soir (mais souffler permet de continuer à se soumettre)

Dans la soumission absolue, la docilité est inconditionnelle, aveugle, immédiate. La personne n’existe plus que pour le service de l’autorité. L’idée qu’elle pourrait avoir un désir ou une répugnance n’est même plus envisagée dès lors qu’elle a reçu un ordre.

Le témoignage de RUDOLF HOESS, commandant du camp d'AUSCHWITZ
"Je considérais comme mon premier devoir de porter secours en cas de besoin et de me soumettre à tous les ordres, à tous les désirs de mes parents, de mes instituteurs, de monsieur le curé, de tous les adultes et même des domestiques. A mes yeux, ils avaient toujours raison quoi qu'ils eussent dit."

Soumettre un enfant, c’est le réduire par divers moyens à n'avoir plus d'autre désir que celui de ne pas déplaire, c’est l'amener à la conviction que l'autre sera toujours le plus fort. On utilise parfois d'autres verbes : dompter, mâter, dresser, éduquer, éducastrer…

Une dangereuse confusion est faite à plusieurs reprises, dans l’émission, entre les termes obéissance et soumission (1). Confusion qui va permettre d'évacuer le problème essentiel : Que faut-il changer dans l'éducation pour ne plus produire aussi massivement des gens soumis. ? On sait maintenant grâce aux travaux de Stanley Milgram, que les plus monstrueuses entreprises d'asservissement et d'extermination ne sont pas accomplies par des monstres sadiques mais par des armées de gens soumis d'une extrême banalité (la fameuse "banalité du mal"  évoquée par Hannah Arendt qui s'était intéressée au personnage d'Eichmann)..

Accuser la télévision ?

Pourquoi pas...Mais ceux qui font cette Télé-réalité comme ceux qui la regardent sont les produits d'un système éducatif. Mais la confusion entre obéissance (indispensable dans toute société) et soumission (mutilation psychique plus ou moins lourde) permet d'esquiver toute mise en cause de l'éducation traditionnelle.

C'est l'éducation qu'il faut interroger

Comment la famille, l'école traditionnelle, la religion, l'armée, les entreprises et les administrations façonnent le matériel humain docile dont on déplorera ensuite les crimes de masse, la stupidité ou l'entrée dans une secte, c'est ce que j'ai voulu montrer dans mestextes cités en annexe.

Igor Reitzman, le 18 mars 2010

 

(1) Cette confusion plus ou moins perverse entre des mots stratégiques, on la retrouve pour patriotisme et nationalisme, violance et agression, dénonciation et délation, éducation et instruction, amour et besoin de posséder ou de consommer l'autre...

 

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Pour aller plus loin :

- Ecole et soumission  
- Religion et soumission 
- Famille et soumission
Le bizutage comme couronnement du dressage

 - La question la plus importante