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IX- De la maltraitance à l'insensibilité

" Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot, te mettre à rebâtir
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir (...)
Tu seras un homme, mon fils"

                               (Rudyard Kipling )

La douleur comme souffrance ressentie

    Le problème de la souffrance est encore gravement méconnu .Je me bornerai ici à rappeler qu'il peut y avoir souffrance sans qu'il y ait douleur, si l'on définit la douleur comme souffrance ressentie. En ce qui concerne les lésions organiques, nous en avons depuis longtemps la démonstration dans la pratique des anesthésies et dans le témoignage de ces malades rares qui peuvent être brûlés grièvement sans que la douleur intervienne comme signal d'alarme. Ce qui est moins connu, ce sont les mécanismes complexes par lesquels l'être humain parvient à se couper de la souffrance trop forte, qu'elle soit d'origine physique ou psychique.

L'écrasement de la sensibilité
   
Les tendances sado-masochistes ne sont pas le seul fruit possible de la maltraitance active. La répression continue par l'enfant d'une souffrance intense, met en place l'insensibilité . On survit mais au prix d'une sorte de mutilation de la capacité à ressentir, y compris le plaisir. Cela conduit parfois le sujet à rechercher ultérieurement dans des expériences extrêmes répétées, les sensations fortes qui lui confirmeront qu'il est vivant. Puisque le vrai bonheur lui est interdit, il va parfois chercher une compensation dans la recherche du pouvoir (sur une femme, sur un pays, sur des enfants, sur un chien…), dans la course à la notoriété et à la richesse, dans la consommation d'héroïne, d'alcool, de jeu, de travail, etc.


L'indignation des braves gens
       Pour l'être dont l'enfance fut un désert ininterrompu et qui a intériorisé très tôt l'interdit de la plainte et de la révolte la plus mince, l'insensibilité peut être totale et partant, totale l'indifférence à la souffrance de l'autre. Dans les procès d'Assises, les braves gens s'indignent devant l'insensibilité de l'assassin d'enfant. Une insensibilité qui poussera les jurés à voter pour une très longue peine. Une férocité qui fournira aux codétenus un alibi pour leur propre férocité.
     (Tous les enfants durement maltraités ne deviennent pas des bourreaux,
      c'est ce que j'évoque dans un autre texte, Genèse de la destructivité )
.

Infirmité psychique ou modèle
     Il est significatif que cette insensibilité qui pourrait être lue comme une regrettable infirmité psychique soit plutôt valorisée dans notre culture, dont le modèle, au moins depuis Kipling, est précisément cet individu impassible, inaltérable, le héros en acier trempé qui commande aux canons des grandes conquêtes coloniales.


Insensibilité et psychothérapie

Dans les consultations de médecine générale et dans les thérapies de soutien, le soignant s'attache à apaiser la douleur psychique lorsqu'elle se présente. C'est aussi ce que spontanément, les proches tentent de faire.
Dans une thérapie en profondeur orientée vers la libération des émotions , la démarche sera souvent, à l'inverse, d'encourager la personne à sortir de cette anesthésie, et oser se confronter (dans l'espace de la séance) à sa vérité profonde si longtemps esquivée douleur, terreur, colère… Dans le quotidien des premiers mois, elle peut découvrir en elle des capacités à vivre la joie qu'elle ne soupçonnait pas, mais dans la mesure où la cuirasse émotionnelle a été entamée, fissurée, la souffrance elle aussi sera plus durement ressentie. Dans ces moments plus difficiles, il lui arrivera de penser qu'elle se sent encore moins bien qu'avant la thérapie et qu'elle ferait peut-être mieux de l'arrêter…
En bien moins brutal, c'est ce que vivrait un opéré sortant de l'anesthésie alors que le ventre n'aurait pas encore été refermé.

 

Extrait de : Igor Reitzman, Longuement subir puis détruire

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