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Quand le Grand Robert diffame
le petit Nicolas
en se cachant derrière Papa Sigmund

 

Si, lisant une publication présente dans toutes les bonnes bibliothèques, vous trouviez un texte affirmant que votre enfant chéri, votre petit Nicolas ou votre petit Youri, est un pervers, je risque l'hypothèse que votre sérénité en serait altérée. Peut-être même choisiriez-vous de protester auprès du responsable de la publication et de faire un procès si la rectification était refusée...

Le Grand Robert (éditions 1994 et 2001) ne s'attaque pas à votre enfant en particulier, mais à tous les enfants de tous les temps et de tous les continents quand, pour éclairer sa définition du terme polymorphe, il ose écrire textuellement : "L'enfant, selon Freud, est un pervers polymorphe." (1)

Quand, pour l'adulte qui consomme sexuellement des enfants, un dictionnaire accepte sans broncher l'appellation pédophile (c'est-à-dire, étymologiquement, ami des enfants), on peut s'attendre au pire. La valorisation de l'adulte pervers trouve son corollaire dans l'attribution au jeune enfant de toutes les perversions. Pour innocenter l'adulte et plus précisément certains géniteurs, le plus simple est de charger l'enfant. Face au stéréotype diffamatoire comme face au fouet, comment se défendre, quand on a 4 ans ! S'abritant prudemment derrière Papa Sigmund, le Grand Robert condense en quelques mots, la nouvelle version d'une fable bien connue des enfants, Le loup et l'agneau.

Vous me ferez remarquer que les adultes n'ont pas protesté davantage. Ni les associations de défense des enfants, ni les associations de psychanalystes pourtant elles aussi concernées par la scandaleuse déformation de la parole du maître.

Le visage du tout petit est pour chaque adulte une inépuisable surface projective. En d'autres termes, chacun peu être tenté de voir dans ce visage, un reflet de son propre inconscient. Pour beaucoup, et je fais partie de ces naïfs, il est l'incarnation même de l'innocence et de la vulnérabilité. D'autres ont un regard bien différent : "Il n'y a pas d'enfant innocent" affirmait déjà Saint-Augustin dans ses Confessions, et, quinze siècles plus tard, dans son Catéchisme de persévérance (2), l'Abbé Vandepitte apportait sa pierre, affirmant :
"Il n'est personne en qui n'existent plus ou moins ces inclinations vicieuses ; et déjà même on les voit paraître chez les petits enfants à peine débarrassés de leurs langes : ils sont colères, gourmands, égoïstes, vaniteux, etc."  (p.208)

Freud allait beaucoup plus loin puisqu'il prétendait qu'il y a chez tout jeune enfant une disposition perverse polymorphe. L'expression est souvent citée mais généralement hors de son contexte conditionnel (3). Rappelons-le :

La disposition perverse polymorphe
"Il est intéressant de constater que l'enfant, par suite d'une séduction,
peut devenir  un pervers polymorphe et
être amené à toutes sortes de transgressions. Il y est donc prédisposé."

 La démonstration est un peu courte ! On pourrait aussi bien écrire : Il est intéressant de constater que l'enfant, par suite d'une formation, peut devenir contrôleur des poids et mesures (ou pianiste, linguiste, pasteur ). Il y est donc prédisposé . Mais la banalité du constat (l'extrême plasticité du petit d'homme) est rachetée par la mise en lumière de ce qui est l'instrument de la transformation : une séduction, hypocrite euphémisme systématiquement utilisé par Freud pour évoquer en les masquant, les manoeuvres d'un adulte pervers.

La formulation de FREUD qui s'en prenait à l'ensemble du monde enfantin ne parlait que d'une prédisposition et il précisait que l'enfant peut devenir un pervers à condition d'avoir subi une séduction. Entre la prédisposition et l'avènement du pervers, le fondateur de la psychanalyse avait installé non seulement une condition, mais aussi une incertitude. L'enfant peut devenir. Cela n'avait donc à ses yeux rien d'automatique.

Mais dans la vulgarisation du dogme, ces réserves ont disparu, y compris dans le discours de certains psychanalystes. Faites l'expérience auprès de ceux qui connaissent l'expression freudienne : Ils se souviennent du pervers polymorphe mais ils ont oublié ou ont toujours ignoré que cette qualification est - dans le texte - le fruit possible d'une séduction. Si on ignore la signification de polymorphe, on peut consulter le Grand Robert. Dès la 3ème ligne, on lit (4) :

>>>>>>>>"L'enfant, selon Freud, est un pervers polymorphe."

Ce qui était chez Freud, théorie très discutable
 devient dans le Robert, grave diffamation de l'enfance

Freud a écrit / C'est dans le dictionnaire / C'est dans le Robert !

Renforcé trois fois par l'argument d'autorité, le discours sur l'enfant pervers offre à tous les adultes pervers attirés par la chair fraîche, un encouragement au passage à l'acte (Cette petite n'attend que ça !) et une déculpabilisation savante cautionnée par le Père de l'Eglise psychanalytique lui-même.  Le pédophile de mauvaise foi pourra dire : "L'enfant et moi, nous sommes des pervers. Pourquoi seriez-vous plus sévères pour moi que pour lui ?"

                                          Igor Reitzman (révisé le 6 07 2013)

Le présent article n'est qu'une introduction.
Pour un approfondissement critique sur le complexe d'Oedipe lui-même,
il vous suffit d'un clic

(1) La version électronique de 1994 reprend le texte papier de 1991. Je n'ai pas eu l'occasion de consulter les éditions ultérieures.

(2) Publié avec "la chaude recommandation de l'archevêque de Cambrai" (9ème édition en 1903)

(3) Freud, Trois essais sur la théorie de la sexualité, p.86 - Gallimard - coll. Idées 1962. Remarquons au passage que si cette affirmation était scientifique, l'auteur préciserait le nombre d'enfants constituant l'échantillon, comment ils furent choisis pour être représentatifs de la totalité des enfants de tous les temps, etc. Dans la réalité, nous savons qu'il n'y eut aucun échantillon, mais simplement une auto-analyse… (La présentation typographique est ma modeste contribution à la lisibilité du texte)

(4)..Voir sur ce site La contribution discrète des dictionnairesà la violance sociale

 

 

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