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19 01 09

Le silence des intellectuels face
aux massacres de Palestiniens

J'entends ici et là des gens qui s'étonnent du silence des intellectuels devant les massacres de Palestiniens, continuation de la politique d'occupation et de blocus par d'autres moyens. Ces gens oublient qu'ils sont eux-mêmes des intellectuels et que la multiplicité des sites permet aujourd'hui leur propre expression. Si vous êtes choqué, agacé, indigné par ce que j'écris, dites-le moi et je mettrai en ligne votre point de vue. Si vous partagez une de mes positions, vous pouvez aussi vous engager, par exemple sur ce site.

Peur de déraper ?
d'être mal jugé ?
de perdre des amis ?

Je sais que les aventures de Daniel Mermet, comme celles d'Edgar Morin, Sami Naïr et Danièle Sallenave peuvent en rendre craintifs plus d'un, même si elles se sont bien terminées pour eux. Il est vrai qu'on peut facilement déraper d'un antisionisme légitime à des formulations discrètement antisémites. Et si cela m'arrive, j'espère qu'on me le signalera dans l'heure.

Je ne pense pas qu'Edgar Morin, Sami Naïr et Danièle Sallenave soient antisémites, mais une puissante émotion (l'indignation devant des massacres) peut obscurcir momentanément la conscience critique et il suffit d'un léger manque de vigilance pour tomber du mauvais côté de la ligne.
Je me sens en accord total avec l'esprit général de leur tribune, mais avant de signer une phrase comme :
" Les juifs, qui furent humiliés, méprisés, persécutés (1),
humilient, méprisent, persécutent les Palestiniens."

j'aurais proposé qu'on remplace " Les juifs" par Des juifs.Ce changement d'article sauvait du stéréotype c'est-à-dire d'un jugement dans lequel des millions de gens groupés dans la catégorie "juifs" sont décrits comme identiques et identiquement mauvais. Si on les présentait comme identiquement bons, ce ne serait pas plus rationnel : "Les Français sont racistes" et "Les Arabes sont de braves gens" constituent des jugements aussi absurdes que les affirmations contraires. ..


Un autre passage était incriminé : "On a peine à imaginer qu’une nation de fugitifs, issue du peuple le plus longtemps persécuté dans l’histoire de, ayant subi les pires humiliations et le pire mépris, soit capable de se transformer en deux générations en "peuple dominateur et sûr de lui" et, à l’exception d’une admirable minorité, en peuple méprisant ayant satisfaction à humilier."

C'est ce fragment-là qui me gêne le plus :

Pensant éviter un stéréotype déplaisant en lui reconnaissant des exceptions ("une admirable minorité"), il le confirme avec l'éclat d'une apparente objectivité. Tout antisémite concèdera à Edgar Morin, qu'il y a de bons juifs. Dès nos premiers pas dans la grammaire, nous apprenons que l'exception confirme la règle.

"Un peuple méprisant
ayant satisfaction à humilier" ?
Je récuse cette globalisation

Je pense ne pas trop me tromper en affirmant
qu'il y a dans cette population
un bon paquet de juifs fondamentalistes
qui prennent au sérieux à 500% non seulement
la légende du Peuple Elu et de la Terre Promise,
mais aussi – et c'est le plus tragique –
le modèle biblique de la conquête (2),
un modèle qui sanctifie par avance toutes les férocités,
et promet le châtiment à tous ceux
qui voudraient épargner les femmes et les enfants.
Nous ne lisons pas assez la Bible,
tandis qu'eux la lisent trop et sans distance.

Je pense ne pas trop me tromper en affirmant qu'il y a
dans la population israélienne
(comme dans la population palestinienne,
comme dans toutes les populations du monde),
une masse de gens qui rêvent de paix, de tranquillité,
de bonnes relations avec leur voisinage
même si beaucoup préfèrent
ne pas trop se poser de questions
sur ce que deviennent les gens
qu'ils ont chassés pour prendre la place.
Les roquettes et la propagande gouvernementale
peuvent conduire une partie importante d'entre eux,
à voir les expéditions punitives comme la solution,
en attendant qu'une vraie négociation soit possible.
Cela ne fait pas automatiquement d'eux
des individus "dominateurs, méprisants,
ayant satisfaction à humilier".


Il y a aussi depuis 60 ans ceux qui trouvent, sous l'uniforme,
des occasions multiples dans les territoires occupés,
de vivre les satisfactions et/ou les malaises
d'un pouvoir sans limite sur une population hostile.
Contrôler les papiers de l'autre, le fouiller,
décider si ctte femme entrera en maternité
et s'il bloquera ce camion de tomates,
lâcher des bombes sur des habitations,
éventrer des maisons avec son char,
tirer sur des enfants,
tout cela ne détruit pas seulement la vie des Palestiniens
mais aussi la conscience de ces jeunes gens
qui ont souvent moins de vingt ans.

Pour ceux qui ne furent pas des enfants maltraités,
c'est le malaise sans doute qui prédomine.
Pour le réduire, ils devront choisir le mépris,
la conviction que l'autre est un sous-homme,
qu'un Peuple Elu a des droits exceptionnels,
que Dieu est avec eux
puisqu'ils volent de victoire en victoire…

On l'a vu au Vietnam, à Madagascar, en Algérie
et dans la Seconde Guerre Mondiale,
l'occupation militaire destructrice de l'occupé,
l'est aussi, autrement, de l'occupant (3).
L'occupé pleure ses morts,
mais l'occupant se déshonore.

Je salue ces juifs israéliens qui osent manifester dans la rue,
leur refus de la colonisation et des massacres.
Je salue ces cinéastes, ces journalistes, ces écrivains,
ces archéologues, ces historiens
qui refusant de hurler avec la meute,
nous proposent un autre visage d'Israël.

Je suis convaincu que cette minorité, admirable en effet,
n'est que la partie émergée d'un iceberg,
des gens qui constituent une minorité plus large,
trop lucide pour approuver les répressions,
trop inhibée pour protester à très haute voix.

Je salue avec respect ces soldats et ces officiers juifs
qui (au prix de la prison)
refusent de servir dans les troupes d'occupation.
Je salue avec respect ces soldats et ces officiers juifs
qui ont compris que « tirer sur des civils non armés,
bombarder des quartiers peuplés,
participer à des “liquidations ciblées”,
détruire des maisons,
priver d’alimentation et de soins médicaux,
détruire des entreprises,
c’est commettre autant de crimes de guerre
» (4).

Igor Reitzman
le 25 01 09

 

(1) - Mais je me serais aussi demandé si "Les juifs, qui furent humiliés, méprisés, persécutés" sont vraiment ceux qui, 60 ans après, "humilient, méprisent, persécutent les Palestiniens".
Si Edgar Morin, Sami Naïr et Danièle Sallenave avaient remplacé persécutés par massacrés, ils auraient, eux-mêmes, senti qu'ils glissaient dans le métaphysique et l'essentialisation.

(2) "Mais si tu écoutes sa voix, et si tu fais tout ce que Je te dirai, Je serai l'ennemi de tes ennemis et l'adversaire de tes adversaires. Mon ange marchera devant toi, et te conduira chez les Amoréens, les Héthéens, les Phérézéens, les Cananéens, les Hévéens et les Jébuséens, et je les exterminerai.[…]
J'enverrai Ma terreur devant toi, Je mettrai en déroute tous les peuples chez lesquels tu arriveras, et Je ferai tourner le dos devant toi à tous tes ennemis. J'enverrai les frelons devant toi, et ils chasseront loin de ta face les Hévéens, les Cananéens et les Héthéens. Je ne les chasserai pas en une seule année loin de ta face, de peur que le pays ne devienne un désert et que les bêtes des champs ne se multiplient contre toi. Je les chasserai peu à peu loin de ta face, jusqu'à ce que tu augmentes en nombre et que tu puisses prendre possession du pays. J'établirai tes limites depuis la mer Rouge jusqu'à la mer des Philistins, et depuis le désert jusqu'au fleuve; car Je livrerai entre vos mains les habitants du pays, et tu les chasseras devant toi. Tu ne feras point d'alliance avec eux, ni avec leurs dieux. Ils n'habiteront point dans ton pays, de peur qu'ils ne te fassent pécher contre Moi; car tu servirais leurs dieux, et ce serait un piège pour toi."
( Exode XXIII, 20-33)

(3) - Pour garder l'estime de soi, certaines fonctions contraignent au mépris de l'autre. La vieille intuition marxiste : "L’être social détermine la conscience sociale" est confirmée notamment par l'enquête de L.R. Khan citée par Beauvois et Joule dans Soumission et idéologie, psychosociologie de la rationalisation (PUF, 1991, p. 12-14)." On y découvre comment l'idéologie d'ouvriers devenus contremaîtres, tend à se modifier de façon à vivre confortablement les avantages de leur nouveau statut et leurs fonctions d'autorité sur leurs anciens camarades. Plus concrètement, ils auront tendance à leur attribuer des motivations prioritaires (gagner le plus possible en travaillant le moins possible) qui rendent indispensable un contrôle très strict de chacun d'eux. Dans les zones culturellement défavorisées, l'enseignant qui décide d'appliquer les barèmes de ses maîtres et distribue l'essentiel de ses notes entre 0 et 4 va devoir choisir entre se dévaloriser et mépriser intensément ses élèves.

(4) - extrait de Yesh Gvul, décembre 2001–
voir sur ce site, un article de Joseph Algazy paru dans le Monde Diplomatique de mars 2002, Ces soldats israéliens qui disent non

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