Longuement subir puis (se) détruire...
Certaines oeuvres
romanesques ont montré,
avec une puissance excepttionnelle,
comment la violance
libérale
prépare
des explosions populaires.
Je songe évidemment au Germinal de
Zola
(3 fois porté à l'écran depuis 1913)
mais aussi, dans une culture différente,
au chef d'oeuvre de Steinbeck, Les
Raisins de la colère,
prix Pulitzer en 1940
et porté à l'écran dès 1947
par John Ford, avec Henry Fonda.
En
vous offrant ici l'occasion de découvrir ou de redécouvrir
la page qui éclaire le titre
de ce dernier livre,
j'espère vous donner l'envie de le lire
tout entier
.
"Les raisins de la colère
se gonflent et mûrissent,
annonçant les vendanges prochaines."
[...] Alors des
hommes armés
de lances d'arrosage aspergent de pétrole les tas d'oranges,
et ces hommes sont furieux d'avoir à commettre ce crime
et leur colère se
tourne contre les gens qui sont venus pour ramasser les oranges.
Un million d'affamés ont besoin de fruits, et on arrose
de pétrole les montagnes dorées. Et l'odeur de
pourriture envahit la contrée. On brûle du café dans
les chaudières. On brûle le maïs pour se
chauffer - le maïs fait du bon feu. On jette les pommes
de terre à la
rivière et on poste des gardes sur les rives pour interdire
aux malheureux de les repêcher. On saigne les cochons
et on les enterre, et la pourriture s'infiltre dans le sol.
Il y
a là un crime si monstrueux qu'il dépasse l'entendement.
Il y a là une souffrance telle qu'elle ne saurait être
symbolisée par des larmes. Il y a là une faillite
si retentissante qu'elle annihile toutes les réussites
antérieures. Un sol fertile, des files interminables
d'arbres aux troncs robustes, et des fruits mûrs. Et
les enfants atteints de pellagre doivent mourir parce que chaque
orange doit
rapporter un bénéfice. Et les coroners inscrivent
sur les constats de décès: mort due à la
sous-nutrition - et tout cela parce que la nourriture pourrit,
parce qu'il faut la pousser à pourrir. Les gens s'en
viennent armés d'épuisettes pour pêcher
les pommes de terre dans la rivière, et les gardes les
repoussent; ils s'amènent dans de vieilles guimbardes
pour tâcher
de ramasser quelques oranges, mais on les a arrosées
de pétrole. Alors ils restent plantés là et
regardent flotter les pommes de terre au fil du courant; ils écoutent
les hurlements des porcs qu'on saigne dans un fossé et
qu'on recouvre de chaux vive, regardent les montagnes d'oranges
peu à peu se transformer en bouillie fétide;
et la consternation se lit dans les regards, et la colère
commence à luire dans les yeux de ceux qui ont faim.
Dans
l'âme des gens, les raisins de la colère
se gonflent et mûrissent, annonçant les vendanges
prochaines."
John Steinbeck, Les
Raisins de la colère, chap.
XXV